• Happy New Year

    New Year Day

    La musique en fond paraissait silence. Quelle musique ? C'est les cris des autres sur le canapé qui jouent à Mario je sais plus quoi. J'ai envie de jouer, moi aussi. Je vais me lever et aller les rejoindre. J'observe Sarah devant, dans les bras de Magali. Elle a l'espoir. Mag, elle, elle a la haine. Elle ne savent pas encore qu'elles n'ont pas finit de se détruire. Encore une erreur. Encore une errance. C'est le nouvel an. Enfin, je crois. On est le premier Janvier 2014, pas loin de 4h du matin. Hugues est là, allongé sur le côté, il paraît triste, sa bouche forme une moue, il parle à sa copine par message. Sa copine ; ou la raison pour laquelle Lou est en train de s'éclater la gueule à quelques kilomètres de là et tombe en chute libre depuis un mois. Maureen finit de lire le livre sur le Hamster dépressif que Mag nous as prêté tout à l'heure. Il est drôle, ce livre. Vraiment bien. Maureen, qu'à ces larmes aux bords des paupières depuis que sa mère nous as quittés l'année dernière. Maureen, qu'à cette force et puis cet infini dans les yeux. Elle doit se dire « ça fait un an déjà maintenant ». Maureen, si belle, si innocente avant, si inatteignable qu'elle a déjà touché le fond depuis longtemps. Elle fait comme si. On fait tous comme si. Le bruit est fort, mes yeux errent dans la salle, j'ai un pâle sourire idiot aux lèvres. Je ne suis pas heureuse: C'est le sourire du cocktail champagne/bière/joint. Pourquoi ne suis-je pas heureuse ? Je ne sais pas. C'est ça, le truc. C'est qu'au fond, on en sait rien.
    Maud est là, assise sur cette chaise, le regard dans le vide aussi. Elle est sobre, je crois. Elle doit être en train de se demander ce qu'elle fera demain, quand elle sera rentrée chez elle. Ce qu'elle fera de sa vie. Maud, qui a tout bien fait comme il faut, et qui se retrouve pourtant sans boulot, perdue dans le tourbillon des jeunes adultes. « Mais ça n'existe plus, ethnologue » qu'ils lui on dit à la fac, y a deux mois. Elle était restée assez longtemps pour perdre ses amis d'avant, et pas assez pour s'en faire de vrais nouveaux. Elle était seule. Maud, qui avait décroché son bac L mention bien, Maud, qui avait tout bien fait comme il fallait sans jamais décrocher. Tout bien fait comme il faut. Magali parle, elle rigole un peu. Avec ce sourire, qui pue l'échec. J'aime pas quand elle a ce sourire. Elle l'a tout le temps, quand elle est défoncée. J'aime pas quand elle est déf. Tout flotte, je ris avec elle. D'un coup, je pousse mon pieds contre sa cuisse, ça rebondis. Dans ma tête, ça fait des vagues immenses qui se propagent, et je le dit. J'ai un rire faux et gêné ; je déteste quand je ris comme ça. Je viens de faire une bourde, je le sais, je le sais quand je croise ses yeux et son rire trop léger pour m'accompagner. J'ai dit de la merde, putain. Pourquoi j'ai dit ça ? J'essaie de me rattraper en disant un truc en rapport avec Hugues qui me le disait tout le temps, et je m'enfonce encore un peu plus dans ma merde. Je ris naïvement, encore. Hugues me regarde, puis tourne la tête. Il a pas l'habitude d'être déf, ça se voit. C'est depuis cette fille, qu'il a changé. Il fait comme si, lui aussi.

    Je fais peine à voir. Est-ce seulement ces quatre ou cinq lattes tirée sur le joint d'il y a vingt minutes qui me remonte à la tête ? J'aimerais pouvoir me vomir. Vomir tout cette chose dégueulasse qui vit en moi. Moi qui fait toujours tout pour les autres, moi qui fait attention à ce que le moindre petit détails de ma vie soit en accord avec les autres, et moi qui dit de la merde et blesse les gens en foirant tout dès que je me lâche un peu.

    Maureen a finit le livre, elle dit qu'il est bien. Je lui dit t'as vu, elle sourit. Je m'allonge à côté d'elle en disant que je suis morte. Pourquoi mon sourire me paraît ridiculement grand, à côté d'elle ? J'ai pas envie de reconnaître la pitié dans ses yeux. Manon cris plus fort, je crois qu'elle a gagné. Non, elle a perdu. Simon couine comme si sa vie en dépendait, il est drôle. Il est con. Je ne les ais pas rejoins. Je me remet en position assise, bougeant ma tête comme avec un mécanisme préenregistré. Toujours mon faible sourire débile, sur les lèvres. J'ai envie de pleurer. Je ne sais pas encore que Benjamin va me larguer sans un mot le lendemain. Après deux ans. Je ne sais pas encore que mes nombreuses crises d'angoisses vont augmenter, je ne sais pas encore que je n'ai pas finis de ramper au fond de ce gouffre immonde. Je ne sais pas encore que je vais vouloir devenir végétarienne, et réduire mes repas de moitié, par dessus le marché, pour me punir par privation d'être aussi nulle.

    Pour l'instant, ça va, ouais, ça va encore, je ne pense à rien, et chuis quand même contente d'être là avec tout le monde. Je reçois un message. Un instant j'espère que ce soit Benjamin, comme toujours, mais ça faisait deux jours que j'avais plus de nouvelles, comme souvent aussi. On ne s'est pas dit bonne année. C'est pas lui. C'est Jérémy. Un ancien pote de la troisième, avec qui on restait parce qu'il avait de la weed, des fois. Jérémy, le vieux pote qu'on connaît vaguement depuis toujours; qu'est pas très grand, qu'est sympa. Pourquoi il me parle, lui ? Ça fait des mois qu'on se donne plus de nouvelles. D'ailleurs, c'était plus le pote à Sarah. Je leur dit que Jérémy viens de m'envoyer « Je t'aime ». On rigole. Sarah dit qu'il a du faire un message groupé. On rigole encore plus. Je comprends pas, je dit qu'il est con. Je lui demande s'il est défoncé. Il me répond « Moi aussi <3 ». ça nous fait rire encore plus. Je leur demande ce que je répond, j'ai pas d'idée, puis ça m'saoul. Magali dit « point », ça nous fait rire. Ce fameux délire du point ! Ça, c'était vraiment la réponse à tout. Je dit « Poutipoet point » en articulant avec tout mon sérieux. Sarah dit que je suis conne en se mettant à pouffer. Comme on est morts de rire, je trouve que c'est une super bonne idée. Je lui envoie « Poutipoet point ». Il a jamais répondu depuis, je crois. On rigole encore un peu, de ce rire vide des fins de soirées couvert par les bruits de fonds. Quelqu'un propose du poulet. Je crois que c'est Magali qui tiens l'assiette de minis cuisses aux arômes chimiques à réchauffer. Elle s'était levée ? D'un coup, mon ventre semble être un immense puits et la salive emplie ma bouche. Le poulet orange devant moi me semble être la plus belle chose qui soit. J'attrape une cuisse et je la dévore, rongeant jusqu'au plus petit morceaux sans demander mon reste. Ces cuisses sont vraiment minuscules, décidément. Quelle idée d'en faire de la taille d'un pouce. J'en prends encore une. Les genoux pliés, les bras en avant et le dos courbés, je finis ma troisième cuisse. Mon estomac se calme et le monde autour de moi recommence à exister. Je vois Magali, à côté, qui mange, aussi affamée que moi. On se regarde bizarrement, je crois qu'on a une lueur un peu folle dans les yeux. Elle me dit que je ressemble à un animal. Je ris. Je lui dit que j'avais faim. Comme si c'était normal. Une excuse. On va refaire cuire du poulet, y a encore trois sacs surgelés. L'attente paraît interminable. Le vide, les yeux qui trainent égarés dans la lumière trop blanche de la cuisine. Puis on re-dévore tout, comme au début, appuyant sur chaque bouchée engloutie, toute raison concentrée sur nos papilles gustatives. Indécemment.

    Deux êtres vivant mangent d'autres êtres vivants morts, et personne ne dit rien.

    Je regarde Magali, le gras aux joues. La sauce orange paraît être partout. C'est immonde. Elle découpe ces bouts de chair cuites avec ses dents, animale, et elle aime ça. J'aime encore plus, je crois. Je finis ma cuisse et je pose le petit os sur le bout de l'assiette. Je m'essuie la bouche du dos de la main. Je me sens coupable.

    C'est tellement absurde. Des êtres vivant en tuent d'autres tous les jours; ils  les découpent, puis les manges, pour seulement dix minutes de plaisirs gustatifs. Ils les élèves, dans des conditions dignes des pires science-fiction, ils les élèvent pour mourir, ils les élèvent pour subir. C'est inhumain, hein, tout ce qu'on voit dans ces vidéos ? C'est inhumain. Mais c'est bon. Ça doit suffire. Cinq minutes plus tard, quand on m'en proposera encore, j'accepterai avec avidité. Comment en sommes-nous arrivés là ? L'horreur me frappe partout où je pose les yeux sans que j'arrive à réagir. Ça dure. Tout flotte, tout est ridicule. Tout est erreur. Pourtant on continue à rire, de ce rire puant le vide. Ce rire puant nos vies. C'est comme ça qu'on évacue. Comment en est-on arrivés là ?

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  • Commentaires

    1
    C'estmoi
    Jeudi 9 Juillet 2015 à 22:52

    C'est fou. J'avais jamais vu ces instants comme ça. 

    2
    Samedi 11 Juillet 2015 à 10:38
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