• Etoile

    Etoile

    Ça pue. Le train roule depuis trop longtemps. Ma maman me manque. Je l'ai perdue pendant la bousculade, tout à l'heure. Le ventre d'un gros monsieur me serre contre la porte, j'ai la joue écrasée contre la vitre. Ils nous ont dit que le voyage ne serait pas long. J'espère que c'est vrai, parce que ça pue. Les larmes me piquent les yeux. Je serre ma poupée contre mon cœur. Pourquoi est-ce que je me sens aussi seule ? Je veux ma maman. Mais je ne dois pas pleurer. Mon papa m'a toujours dit que c'était vilain de pleurer. Mais mon papa il est partit à la guerre. Il ne reviendra pas. Enfin, ça, c'est maman qui l'a dit. Mais il ne faut pas que je le dise, moi, parce que sinon elle va pleurer. Je le sais, elle l'a déjà fait. Mais si mon papa ne revient pas, alors il faut que ce soit moi qui m'occupe de maman. Prends soin d'elle, qu'il avait dit, en partant. Il ne faut pas que maman pleure. Il y a une secousse, et le gros monsieur me broie contre la parois en fer, j'entends quelque chose craquer et je grimace. Je n'ai pas de chance, ça doit être le seul gros monsieur de tout le train. Tout le monde est maigre, ici. Moi aussi, d'ailleurs. Ça pue le vomit, la sueur et l'incompréhension. Je dirais même que ça pue la peur. Il y a des gens qui geignent et qui pleurent, comme des animaux. Je n'aime pas cet endroit. Je n'aime vraiment pas cet endroit. J'espère qu'on est bientôt arrivés. Ma poupée est moite entre mes doigts. Encore un virage brusque. Le choc mou et humide me coupe à nouveau le souffle. J'espère que mon papa ne me grondera pas, parce que je vais pleurer. Enfin, je suis déjà en train de le faire, mais il paraît que c'est moins grave quand on met au futur, parce que c'est pas encore sûr. En fait, pour que tout soit vrai, il faudrait tout mettre au présent. Je pleure quand même discrètement, au cas ou quelqu'un me verrait. J'ai un peu honte, et puis maman m'avait dit que ça faisait de la peine aux autres quand ils voyaient quelqu'un pleurer. Je dois protéger ces gens, qui ne cachent même pas leurs larmes et leurs cris, ne pas leur en rajouter. Ils ne doivent pas savoir que ça ne se fait pas, mais c'est pas grave.

    Je suis la seule enfant. Je crois que je me suis perdue. J'ai du me tromper de train. Ça pue, j'ai mal partout. Cet endroit est horrible. Mais je dois rester forte. C'est mon rôle, de protéger les gens. J'ai le pouvoir des plantes, elle m'a dit ma maman. Je sais soigner, comme elle. Alors ont a pas le droit de se moquer de moi parce que je suis petite. La pression du ventre du gros monsieur se déserre, et je respire de nouveau un peu mieux. Je croise le regard perdu d'un passager. Ses yeux noirs restent un moment dans ma tête. Maintenant que j'y pense, j'ai vraiment hâte de devenir une vraie soigneuse. Peut-être même que je pourrais être docteure...

    Je veux sortir de ce train. J'en suis sûre, maintenant, c'est le mauvais. Mais ils n'ont pas l'air de vouloir nous faire sortir. Je veux voir ma maman, et mon papa. La vue du bout de tissu qui me sert de poupée me rend soudain encore plus triste.

    Je crois que même si on le voulait très fort, on ne pourrait pas être heureux, ici. Mon corps frêle est secoué dans tous les sens depuis tellement de temps que je ne sens plus les vibrations. Je ne porte qu'une légère robe blanche. Enfin, blanche, elle l'était à la base ; c'est devenu un chiffon grisâtre déchiré, maintenant. Avec une petite étoile, accrochée sur ma poitrine. Elle m'a souvent intriguée. On m'a dit que j'étais obligée de la porter. Mais de toute façon, je suis fière de l'avoir. C'est une des seules choses qui m'appartienne vraiment, avec ma poupée. Je la trouve très jolie moi, cette petite étoile jaune. Comme une lumière dans une nuit d'hiver. Mon étoile, comme ma sauveuse, dans ce monde affreux.

     

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  • Commentaires

    1
    Lundi 8 Septembre 2014 à 12:27

    Bonjour

    étrangeté de la perception visuelle

    le corps de femme

    est bien visible ; ( bannière )

    pourtant je  l'ai découvert

    bien après

    ( après avoir parcouru les textes )

    je reviendrais ... j'aime ;

     

    les framboises aussi !

    à bientôt

    2
    Mardi 9 Septembre 2014 à 12:26

    Bonjour!

    Je suis touchée par votre attention.
    Bonne journée à vous et au plaisir,

    Lunatysse.

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