• Enchaînée

    Enchaînée

    Il voulait un enfant. J'avais vingt-huit ans, et Mathieu et moi étions ensemble depuis un peu plus de cinq ans. Nous nous aimions. Et maintenant, il voulait un enfant. Tout ce qu'il y avait de plus normal.

    Petit à petit, les questions commençaient à s'imposer, s'insinuant lentement. Les remarques se pressaient, laissant après leurs brûlures un goût amer : « Dis donc, c'est pour quand le bébé ? » - « Toujours pas rond ce petit ventre ! » - « Tu feras une mère formidable ! » - « Tu voudrais une fille ou un garçon ? » - « Qu'est-ce que vous attendez ? »...


    Un douloureux vide me prit le ventre. Tout ce qu'il y avait de plus normal, oui. Sauf que je ne voulais pas d'enfant.

    L'idée de vouloir procréer, de vouloir amener quelqu'un en plus sur cette terre, voir tout simplement de laisser une trace de son passage ici-bas m'avait toujours semblé égoïste; et après tout, je ne devais rien à personne.


    Mais maintenant, il voulait un enfant. Mon visage se tordit en grimace. Je songeai à toutes mes amies devenues mères; pressées d’exaucer une idée, un rêve, qui n'était pas le leur: pressées de rentrer dans la norme. Choisir la facilité, le premier mec sérieux venu, pour ne pas se retrouver à trente-cinq ans avec un gosse dont on ne connaît pas le père, par peur de ne jamais en avoir.

    Est-ce vraiment parce que l'on a toujours fait quelque chose qu'il faut continuer à le faire ? Sommes-nous en voie d’extinction?

     
    Ce n'était pas que je voulais être différente ou que je cherchais à clamer une quelconque indépendance, c'était juste que je n'aimais pas faire des choses qui n'avaient pas de sens pour moi.

    Il y a des questions que certains ne se posent jamais.


    Maintenant que je me trouvais face à l'évidence, j'avais peur. Peur, peur de ne pas savoir aimer l'enfant, peur de ne pas savoir comment faire; mais surtout peur d'être l'auteure de nouvelles possibilités, de nouveaux choix, de nouvelles vies. Peur de devenir quelqu'un d'autre, aussi. Peur de devenir comme ma mère, peur de refaire tous les mêmes gestes, peur de voir quelqu'un d'autre dépendre de moi.

    Je ne voulais pas de quelque chose qui puisse sortir de moi. Sortir de mon être, si étranger encore. Je ne voulais pas avoir à vivre avec quelqu'un d'autre à l'intérieur de moi. Oh, mais pourquoi ne comprenait-il pas que je ne voulais tout simplement pas de cette responsabilité-là dans ce monde ?
    J'avais peur, d'une peur qui me révulsait.

    Mais bon dieu pourquoi étais-je comme ça ? Pourquoi ne pouvais-je pas simplement accepter ? Faire ce qu'il fallait ?
    J'étais née femme, et je me devais d'avoir des enfants, au risque d'être déchue de ce statut.Voilà ce que je comprenais.

    Toute ma vie, j'avais crus être libre et issue d'un pays qui l'était ; et je me rendais compte aujourd'hui que je n'étais qu'un tas d'idées reçues inculquées à ma naissance pour continuer à faire fonctionner la société, qu'un tas de pensées qui n'étaient pas miennes.


    Et Mathieu voulait un enfant. Un enfant de moi. Et malgré tout ce que l'on m'avait appris; je n'en avais pas envie. Voilà, c'était ça. Même pire maintenant que l'on m'y forçait; l'idée seule que quelque chose puisse grandir en moi, au creux de mon ventre, de mes reins, puis en sortir en me déchirant de parts en parts me donnait envie de vomir. Des crampes, des crises d'angoisses. Ça relevait de la pure fiction. Un parasite injecté qui dévore sa proie de l'intérieur. Ça n'avait pas sa place ici. N'avais-je pas assez souffert pour subir encore ?
    N'était-ce pas un droit de choisir ce qui était fait pour nous, ou ne l'était pas ? Y avait-il des lois plus grandes que celles des hommes, ou bien me manquait-il seulement une paire de testicules pour être en paix ?
    Je voulais être libre, moi. Libre. Voyager, peut-être, mais ne pas avoir à me préoccuper de tout cela. Notre espèce est loin d'être en danger, si ce n'est d'elle-même. Enfanter se doit d'être un choix.


    Dos courbé par un ventre rond. État de faiblesse, de soumission de la femme pendant des millénaires. État de souffrance. De souffrance. État de dépendance.


    Je crois que je vais partir. Oui, je vais fuir cette communauté moisie remplie de règles inutiles. L'occident, le seul avenir possible ? Sûrement pas -il n'y a pas d'avenir à se regarder s'écraser contre un mur-. En en étant moi-même issue, je n'étais peut-être rien d'autre que le fruit d'une expérience ratée, mais je voulais au moins vivre dans ce qui me semblait être juste. Et je ne voulais pas donner d'une vie à quelqu'un, qui ne me convenait pas moi-même.

    J'avais toujours été plus ou moins banale; taille moyenne, cheveux blonds foncés, menue, petits seins, suivant les tendances du moment sans jamais vraiment décaler. Cependant pour une fois, j'allais faire des choses qui surprendraient les gens; des choses qu'ils ne comprendraient pas. Ces idées germaient lentement en moi, depuis tant de temps. J'avais besoin d'ailleurs.
    Je crois que je vais quitter Mathieu.

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  • Commentaires

    1
    Samedi 1er Novembre 2014 à 14:16

    Très puissant, ça part de rien et ça brise tout... Une pression à nulle autre pareille.

    C'est un personnage qui te ressemble, non? 

    2
    Samedi 1er Novembre 2014 à 15:29

    Merci beaucoup, c'est génial de ta part!
    J'avais effectivement écrit ce texte pour essayer d'expliquer au mieux ma frustration; j'ai longtemps haïs le fait d'être une femme, jusqu'aux femmes elles-mêmes, mais avec le temps, je me suis rendue compte que mes idées se rapprochaient du féminisme, et maintenant j'ai besoin d'en parler le plus possible. :)

    3
    Samedi 1er Novembre 2014 à 15:40

    Je comprend; enfin je te comprend toi,( parce qu'un mec ne peut pas intégralement comprendre une femme!) en tout bravo pour ce texte et pour les autres, que je lirai petit à petit, mais que je lirai tous! Tu as un style très fluide et tu sais raconter ce que j'aime lire.  

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    4
    Samedi 1er Novembre 2014 à 15:46

    Wow, merci. T'imagines pas à quel point ça me fait plaisir.

    5
    Lundi 17 Novembre 2014 à 20:37

    Bonsoir Lunatyss,

    je te découvre et ce texte je le trouve très fort en plus d'être bien écrit. Je suis pour que les femmes se respectent avant tout. Elles font des choix et personne ne devrait pouvoir les juger.

    Moi je suis maman mais j'ai fait le choix de m'arrêter à une..; j'en ai entendu!!!! ^^

    Je vais continuer à parcourir tes textes mais petit à petit; Ils méritent qu'on s'y attardent.

    Catiminy/ Jolana

    6
    Samedi 22 Novembre 2014 à 23:37

    Merci beaucoup!
    Si je me décide, je pense également m'arrêter à un dans tous les cas...
    Bonne continuation et merci encore pour cette attention!

     

    7
    Vendredi 25 Septembre 2015 à 20:40

    J'aime beaucoup ton texte et tu écris très bien, bravo ! :)

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